Bioforce, épidémies et Vaccination de masse

LA NEWSLETTER DU SAMA du 11/03/2021

Edito du Président 

Chers et chères camarades,Notre vie est toujours rythmée par les contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire.Un espoir cependant : pour le Pr Bruno LINA « la troisième vague pourrait être la dernière ». Les variants du SARS CoV- 2 se multiplient –anglais, brésilien, sud-africain, finlandais, new yorkais…-mais restent très similaires. Cela voudrait dire, d’après le directeur du centre lyonnais de référence des virus respiratoires, que le virus n’arrive pas à s’échapper des contraintes immunitaires qu’il rencontre et que même si les taux d’incidence augmentent dans certains territoires, la phase de décroissance serait proche. Si on arrivait à accélérer la vaccination, le retour à une vie plus normale à court terme serait alors possible. La Commission Européenne a déjà conclu des accords avec huit laboratoires ayant mis au point un vaccin ; ce qui représente un potentiel de plus de 2,5 milliards de doses. Mais si l’on a plusieurs vaccins qui ont fait leur preuve d’efficacité, il manque d’usines pour les produire rapidement en nombre suffisant. De plus les vaccins ne pourront mettre un terme à la pandémie que si tous les pays reçoivent des doses de façon rapide et équitable. La responsable scientifique de l’OMS prévient : « nous n’allons pas atteindre l’immunité collective en 2021.Autre point sensible, le manque de néopolypropylène, matière de base pour la production des films de masques chirurgicaux mais aussi du petit matériel de laboratoire en plastique comme les cônes de pipettes pour tests. Une seule source importante et actuellement active de matière première se trouve en Corée du Sud.Lors du dernier bureau, Michel ROBERT-DE FOI a suggéré le thème « Bioforce et vaccination de masse. » Il nous relate l’historique de la Bioforce des armées ainsi que sa participation à l’intervention lors de l’épidémie de choléra fin 1993 à DJIBOUTI.Le concept BIOFORCE est né dix ans après une meurtrière épidémie de méningite cérébrospinale A au Brésil, jugulée par une vaccination de masse. Il est pour moi tentant d’interroger l’histoire pour savoir si toutes les leçons en ont été tirées et si certaines auraient servi à mieux combattre la COVID-19. Il convient cependant de rester prudent car le « monde », les sociétés humaines, les organisations, les industries…ont bien changé.Si vous avez des questions sur ce thème ou des expériences personnelles, faites-en part  pour une prochaine news letter. Quelques nouvelles pour ceux et celles qui sont toujours affiliés à la CNMSS. Sur les 883 personnels de la caisse à Toulon, 62% sont en présentiel sur le site. Les autres sont en télétravail mais en mode dégradé car sans matériels informatique adapté pour traitement des dossiers. Suite aux mesures de confinement la caisse militaire a observé chez ses ressortissants une baisse de 30% des interventions chirurgicales, de 20% des endoscopies et de 20% des AVC. Ce qui n’est pas de bon augure pour l’avenir.Le 4 février dernier, les membres du conseil d’administration dont votre serviteur fait partie ont approuvé la convention de partenariat (ASIAM) « qui a pour objet de définir les modalités et conditions selon lesquelles la Cnam met à disposition les services, applications et supports informatiques  permettant à la CNMSS, dans un environnement sécurisé, d’assurer pour le compte de ses bénéficiaires et de ses autres tiers, la gestion du régime obligatoire d’Assurance Maladie ainsi que ses missions déléguées, c’est-à-dire les soins aux invalides de guerre et les accidents imputables au service. » Cette bascule informatique devrait en principe être transparente pour les affiliés. Vérifier quand même vos remboursements sur AMELI.Bien amicalement.

Gérard DESMARIS
Président du SAMA  

LA NEWSLETTER DU SAMA 

Bioforce Militaire, épidémies et Vaccination de masse
 
HISTOIRE DE LA TASKFORCE DU SSA (1983-2001) DANS LA LUTTE CONTRE LES ÉPIDÉMIES
 
par le DR MICHEL ROBERT-DEPOI


PISTOLET À INJECTION HYPODERMIQUE SANS AIGUILLE


Il était une fois la Bioforce, à la fois module et organisation militaire humanitaire, isolée de l’Elément Médico Militaire d’Intervention Rapide (EMMIR)et amenée à être projetée en un temps record pour répondre à des demandes extérieures (OMS, militaires ou civiles étrangères) de crises épidémiques. Elle pouvait inclure une campagne de vaccination de masse, quand un vaccin était disponible.
Le module (matériels, équipements, labos mobiles, unités de traitement de l’eau…) était stocké à la pharmacie centrale d’Orléans qui en assurait la maintenance. Les vaccins fabriqués et mis à disposition par les Laboratoires Mérieux de Lyon. La logistique et le transport assurés par l’armée de l’Air au départ de l’aéroport de Lyon-Bron. Les personnels desanté étaient prélevés sur l’Institut de Médecine Tropicale du Pharo, l’HIA Laveran et sur une liste RENHOSP (Renfort Hospitalier) de  spécialistes volontaires et comportait pour chaque départ un chef de mission, épidémiologiste, des biologistes et techniciens de laboratoires, des médecins cliniciens, pédiatres et  des infirmier(e)s. D’autres personnels administratifs et logisticiens complétaient le dispositif.
La bioforce était exemplaire par sa souplesse et sa réactivité. Mais aussi par son organisation et la polyvalence de ses professionnels de santé, tous tropicalistes expérimentés issus du Pharo (leur maison mère depuis 1905) et en capacité d’adapter leur pratique à n’importe quelle situation et zone géographique.
 En outre, chaque fin de mission faisait l’objet d’un retour d’expérience permettant d’améliorer le dispositif (utilisation du DERMOJET et/ou du pistolet hypodermique IMOJET, Ringer sous poches plastifiées en relais du verre incompatible avec le fret aérien, pratique de la perfusion par voie intra osseuse (VIO) chez les enfants déshydratés …).
En presque 20 ans, ce sont 26 missions de la Bioforce qui seront réalisées, en Afrique, en Amérique latine et dans les Balkans sous la houlette de l’Institut de Médecine tropicale du Pharo.
 
Origine :
 
La bioforce est née dans les années 80 de la rencontre de deux fortes personnalités lyonnaises ;
–  Charles Mérieux, médecin biologiste, directeur des laboratoires Mérieux, spécialisés en méthodes de diagnostic des maladies infectieuses et alors fabricant de vaccins dont le vaccin de la méningite A+C.
 –  Léon Lapeyssonnie, issu de l’ESSA de Lyon, opte en 1936 pour le corps de santé colonial. Médecin tropicaliste, il est sensibilisé, dès le début de son premier séjour en Afrique, au combat mené contre la trypanosomiase africaine par les équipes mobiles créées par Jamot. Il va s’en  inspirer dans la lutte contre d’autres fléaux endémo-épidémiques tels  le choléra et la méningite à méningocoque qui deviendra son cheval de bataille. Au point de donner son nom à la « Ceinture de la méningite de Lapeyssonnie » pour désigner la progression du méningocoque tueur qui parcourait périodiquement les pays de la bande sahélienne de Dakar à la mer rouge. Plus tard, de passage au Pharo, il mettra en route l’unité de recherche des méningocoques appelée à devenir centre collaborateur de l’OMS.
L’alliance avec Mérieux et la mise au point d’un vaccin antiméningococcique.  A et C par ce dernier jettera les bases de la création de la Bioforce.
Ce concept connaîtra son apogée en 1974 au Brésil où grâce à la production Mérieux, ce ne sont pas moins de 90 Millions de Brésiliens qui bénéficieront de la vaccination contre la méningite A+C en moins de six mois !!
Le choléra a été également la source de fréquents appels à la Bioforce depuis 1965 (nous en sommes alors à la 7°pandémie) à la faveur des catastrophes hydro- climatiques et de désordres sociaux en tous genres. Nombreux sont parmi nous ceux qui, en poste isolé, se souviennent d’avoir vacciné au dermojet sous les ailes de DC3 ou qui pour d’autres ont traité, dans des hôpitaux sous tente, des milliers de patients réduisant considérablement la mortalité (TL. naturelle 50% ==)> 1%)
 
L’Histoire de la Bioforce Militaire fait remonter sa filiation au début de l’aventure du Service de Santé Colonial. N’ayons pas peur des mots. Un historien écrira que « la seule chose que l’on pourrait reprocher au Service de Santé Colonial c’est d’avoir été indirectement à l’origine du boom démographique africain » Et nos confrères anglais admiratifs iront même jusqu’ à le qualifier de « French system ».
Dès 1910, en effet, le service de santé colonial, en collaboration avec les instituts Pasteur d’OM et d’autres Centres de recherche africains et asiatiques met en place une médecine mobile originale pour faire face à des affections endémiques bien identifiées. Les médecins pionniers et leurs équipes étaient alors amenés à quadriller des zones géographiques parfois étendues pour évaluer, recenser et traiter ou vacciner.
Ce seront pour commencer les équipes Jamot de lutte contre la maladie du sommeil (tournées en marguerite). Puis suivront pour ne citer que les principaux :
 En 1945, Le Service Général d’Hygiène Mobile et de Prophylaxie (SGHMP)
 En1957, les services nationaux des Grandes Endémies qui vont s’attaquer à la trypanosomiase, au paludisme, à la lèpre, l’onchocercose, aux tréponématoses aux méningites à méningocoques et à la variole. La proclamation par l’OMS en 1976 de l’éradication de cette dernière en Afrique et dans le monde par la vaccination donnera lieu à la remise par le CDC d’Atlanta à l’Institut de médecine tropicale du Pharo d’une plaque commémorative rendant hommage aux médecins militaires qui n’ont pas hésité à « aller jusqu’au bout du chemin » pour remplir leur mission
En 1965, et donc au début des indépendances africaines. Labusquière crée le service de médecine préventive et d’hygiène publique avec un volet PMI et Couverture vaccinale. Viendront ensuite les Plans élargis de Vaccination (PEV) appuyés par l’OMS, UNICF, Rotarys …et pilotés par la nouvelle génération de médecins africains.

Épilogue :
 
En 2001, la Bioforce a cessé d’exister suivie en 2013 par la fermeture du Pharo. En cause, le désengagement de la France face à une coopération multilatérale dans les pays en voie de développement, la réduction des effectifs et des budgets et la réorientation du SSA vers le soutien exclusif des forces notamment dans le cadre des Opérations Extérieures (OPEX). Une page est tournée sur le savoir-faire de cet organisme qui n’a bénéficié que d’une communication interne et a reçu son coup de grâce le jour où des ONG, par médias interposés, ont réussi à imposer l’idée que « militaire ne pouvait rimer avec humanitaire ». Le SSA continue néanmoins au sein de l’Institut de Recherche en Biologie des Armées (IRBA) à suivre et à surveiller l’évolution des maladies infectieuses de par le monde dans le cadre de la prophylaxie des unités et de l’aptitude opérationnelle de ses personnels.

Et maintenant ? Face au Covid :
Le succès de la lutte contre les épidémies en Afrique comme en Asie fut le résultat d’une collaboration étroite entre des chercheurs et des hommes de terrain qui ont su partager les succès comme les échecs au prix d’un dévouement et d’une ténacité dans des conditions d’exercice difficiles, au péril de leur vie. En ont résulté des découvertes majeures (Peste, Paludisme) et la mise au point de nouveaux vaccins (Peste à Tananarive et Fièvre Jaune à Dakar).  Les 18 Instituts Pasteur OM étaient alors en mesure d’assurer la fabrication de la totalité des vaccins. 
  
Le  Monde  a changé :
Sous l’égide de l’OMS, La Santé Globale a émergé avec son mot d’ordre  « ONE HEALTH » Et Il faudra
s’habituer à la notion de Santé Internationale et aux programmes internationaux de lutte et d’aide humanitaire  aussi nombreux que concurrentiels.
Les Instituts Pasteur d’OM ne fabriquent plus de vaccins. Pas plus que Bio Mérieux (côté en Bourse)  orienté vers  la biologie industrielle, l’immunothérapie et la recherche en sciences nutritionnelles. 
Face au Covid 19, La vaccination s’avère le seul recours pour un retour à une vie sociale et économique normale mais avec un triple défi ; organisationnel, logistique et financier.
Les pays du Sud et de l’Union Africaine (UA) en particulier, qui n’ont pas de stratégie du carnet de chèques pour se procurer « ce bien commun universel », vont se trouver dans une situation d’apartheid vaccinal. Mais déjà la Chine vient combler ce déficit d’aide occidentale. 
La stratégie quasi militaire d’Israël, qui a déjà vacciné la moitié de ses 9 millions d’habitants, sera à suivre quant aux résultats à court et moyen termes.




 
Reste à espérer que cette période critique soit propice à l’imagination et à l’innovation. C’est déjà le cas avec le pistolet hypodermique canadien Med-Jet (tiens le revoilà), le nanopatch vaccinal de l’australien M. Kendall ou le spray nasal thérapeutique qui s’avèrent prometteurs.
                                                                    Michel Robert, le 24 Février 2021
 
 
 
 
DJIBOUTI 93 À REBROUSSE CHEMIN :
Dr. Michel Robert
 
C’est en ce début de juillet 93, une arrivée sur fond de Khamsin, ce vent du désert qui fleure bon le 3 fois 50 (50 Km/h, 50° à l’ombre et 50j.). Nous n’en souffrirons, paradoxalement, que pendant nos périodes de repos !
C’est l’extraordinaire travail de la Légion Etrangère (13°DBLE) qui nous a livré en 48h chrono un hôpital sous tentes avec une poche d’eau de 4000l, l’électricité et une dizaine de toilettes abritées en bord de plage, un luxe.
C’est du crésyl et du Chlore à volonté, deux ingrédients essentiels.
C’est la rencontre avec l’ONG. MSF Hollande présente depuis plusieurs mois, assez démunie face à une épidémie mais disposant d’une charmante porte-parole anglais, qui, chaque samedi, se rend à Nairobi pour faire un point presse auprès de Reuter, AFP… No Comment !! 
C’est l’aéroport bouclé tous les midis alors qu’on y attend le ravitaillement sanitaire. Une très haute personnalité vient y contrôler la qualité du Khat frais en provenance d’Addis-Abeba.
Mais c’est surtout une aventure humaine sans précédent, sept semaines durant, marquée par la reconnaissance (des yeux) de nos soignés qui, malgré leur extrême pauvreté, s’accrochent encore à la Vie silencieusement et avec dignité.

09/03/2021 INFOS CORONAVIRUS  DERNIÈRE MINUTE
Dr. Michel Robert
 
 Où l’on apprend que :
    -Le service SSA des armées a ouvert au Public 4 centres de vaccination dans ses hôpitaux de Clamart (Percy), Bordeaux, Metz et Toulon et qu’il est présent à Mayotte en renfort de lits de réanimation, la surpopulation de l’Ile s’avérant être un très bon starter d’épidémie,
    -L’Institut Pasteur a encore 3 candidats vaccin à l’étude qui seront validés sans doute en fin d’année 2021. Mais quid de la chaine de production ?
    – la France, n’ayant sans doute pas confiance en ses ressources humaines ou étouffée par ses organismes de Santé Publique tentaculaires, fait appel depuis plusieurs mois à des cabinets privés étrangers (Mc Kinsley Compagny, Kantar Health) pour leurs conseils en stratégie vaccinale. Un comble !
    -Que l’Europe, par la voie de Thierry Breton, est sur la voie d’un partenariat avec les USA pour la mise en place de chaines de production mondiales localisées sur ces 2 continents. Vous avez dit Guerre au Coronavirus et Conseil de défense ? Voici venir son industrie d’armement.
 
 
CONCEPT BIOFORCE ET VACCINATION DE MASSE
Dr Gérard DESMARIS

Septembre 1976, frais thèsé je suis invité comme tous les camarades de la promotion 69 par « Monsieur Jean » (Mérieux). Visite de l’usine de production de Marcy l’Étoile suivie comme il se doit à Lyon d’un bon repas. L’Institut Mérieux est encore tout auréolé de son succès brésilien contre la flambée de méningite cérébrospinale A (MCSa) deux ans plus tôt.
Mais revenons aux années 60, au début de cette histoire, c’est-à-dire l’épopée de Léon Lapeyssonie et Charles Mérieux.
Le médecin général Lapeyssonie est alors détaché par l’IMTSSA comme consultant à l’OMS pour sa connaissance des épidémies africaines et notamment celles de MCSa. Il est très inquiet de l’observation in vitrod’une sulfamido-résistance grandissante de souches de méningocoques sérogroupe A qui sont les plus fréquentes au sahel. Un vaccin serait le bienvenu. Louis Greenberg du Laboratoire d’Hygiène d’Ottawa qui avait réalisé deux types de vaccins antiméningococciques (germe entier et germe lysé) apparemment bien supportés, mais à l’efficacité pas assez démontrée, laisse tomber ses recherches. L’OMS envoie alors Lapeyssonie discuter avec l’Institut Pasteur de Paris. Le secrétaire général adjoint de l’IP, le Dr Mercier, ne croit pas au danger de la sulfamido-résistance sur le terrain (c’est avant l’épidémie de FÈS de 1966-67) et refuse de s’investir dans la mise au point d’un vaccin. L’OMS se tourne alors vers l’Institut Mérieux. Lapeyssonie avait rencontré Charles Mérieux à Tunis en 1960. Après réflexion avec ses équipes (Triau, Donikian), reconnaissant qu’il n’avait aucune compétence dans le domaine de ce type de vaccinations, il accepte néanmoins le challenge assuré de l’aide de l’IMTSSA /Pharo (Dr Faucon) mais aussi de l’OMS, de l’Institut Rockefeller (Emil Gotschlich et son vaccin polysaccharidique).
Plusieurs essais du vaccin à germe entier menés à partir de 1967, le premier à Yako, ne peuvent prouver leur efficacité ; enfin ceux menés avec un vaccin polysaccharidique en 1972-73 en Égypte et au Soudan sont totalement concluants.
Les flambées épidémiques dans la ceinture africaine dite de Lapeyssonie commencent à être circonscrites, comme celles en lien avec les pèlerinages vers La Mecque. 
C’est dans ce contexte que surgit en 1974 au Brésil une épidémie de méningite de souche africaine. Un début d’épidémie de MCS à sérotype C, fréquent en Amérique, avait débuté en 1971. Puis était apparue à l’hiver 1973 une épidémie à sérotype A qui, étant plus épidémiogène avait supplanté le C. Le but est de vacciner 80% de la population soit environ 80 millions d’habitants contre les deux sérotypes.
En 1974 l’Institut Mérieux était le seul au monde à avoir développé et produit un vaccin antiméningococcique A. Il sera seul à traiter avec le Brésil sur le sol duquel il est présent depuis 1946. 
Nous sommes en période estivale ; les personnels sont rappelés, les chaînes de production tournent nuit et jour. Tous les fermenteurs, centrifugeuses, lyophilisateurs sont réorientés vers cette production au détriment de certains vaccins vétérinaires. La construction d’une nouvelle usine est programmée. 90 millions de doses seront produites en six mois ! La production journalière des chaînes a été multipliée par cent. A cette date Alain Mérieux a pris la direction exécutive de l’Institut, Charles qui rêvait de « vacciner tous les enfants du monde » préside sa fondation.
Cependant l’aspect logistique a été sous-estimé. Finalement Air Inter assure le pont aérien entre Lyon et Paris, puis la Varig entre Paris et les villes brésiliennes. Les autorités locales assurent la logistique pour vacciner la population au moyen du Ped’o jet américain, pistolet hydraulique injecteur sans aiguille. Le Brésil est un état fédéral de plus de 8 millions de kmavec des mégapoles et des étendues de faible densité humaine. Ceci explique la disparité d’efficacité de la logistique. Les dix millions d’habitants de São Paulo sont vaccinés en cinq jours, quasiment toute la population brésilienne le sera en six mois. L’épidémie est jugulée.
L’Institut Mérieux est depuis longtemps un spécialiste des sérums (antirabique, antitétanique, anticoquelucheux…). Il extrait aussi des gammaglobulines à partir de placentas. Lapeyssonie avait déjà convaincu Mérieux de l’intérêt des gammaglobulines spécifiques antiméningoccociques en traitement préventifou curatif, surtout pour les plus jeunes enfants ; elles doivent être injectées dans le liquide céphalorachidien. Leur intérêt est aussi d’être plus rapidement et facilement produites.
L’opération Jeanne d’Arc n’aura pas lieu ! Charles Mérieux a obtenu l’accord de l’amiral Joire-Noulens, chef d’état-major de la marine pour faire vacciner par le SSA les quelques 1100 membres des équipages de la Jeanne (capitaine de vaisseau Brac de la Perrière) et de la frégate Le Forbin qui doivent faire escale à Rio de Janeiro après une relâche aux Antilles françaises. Lors de cette relâche le Centre de transfusion des armées ferait les prélèvements de sang qui seraient expédiés à Lyon pour extraction des gammaglobulines à livrer aux brésiliens. Paulo de Almeida Machato, le Ministre de la santé du Brésil y était apparemment favorable mais l’importation/exportation de produits sanguins est un sujet sensible pour Brasilia qui ne donnera pas son feu vert.
L’expérience du Brésil aboutira 10 ans plus tard, à la création de la BIOFORCE.
Son but : frapper vite et fort avec une organisation du travail sans faille.
En fait il faudrait dire bioforces, avec la création à Lyon, sous l’impulsion du Dr Charles Mérieux, de la première école de logistique humanitaire ainsi que d’une bioforce militaire.
La Bioforce militaire résulte d’une convention signée en 1983, entre le Ministère de la Défense, le Ministère des Affaires Etrangères, le Ministère de la Coopération et la Fondation Mérieux. (Elle sera révisée en 1996 Meccano industriel de parties prenantes oblige).
En mai 1983, Charles Hernu, ministre de la défense, Etienne Carrot, président de la chambre de commerce et d’industrie de Lyon, signent deux protocoles d’accord qui fixent les conditions de la mise en place sur l’aéroport de Lyon-Bron, situé à proximité de l’école de santé militaire, de la Force d’assistance humanitaire militaire d’intervention rapide (FAHMIR), conçue comme une  » force de frappe humanitaire capable en moins de vingt-quatre heures d’être à pied d’œuvre en n’importe quel point du globe « . Les industriels s’engagent à stocker des lots de certains vaccins et produits biologiques.
La FAHMIR groupe plusieurs éléments complémentaires qui, isolément ou associés, peuvent intervenir, à la demande d’États touchés par des catastrophes naturelles ou par des épidémies de grande ampleur. Ces éléments sont : une antenne chirurgicale aérotransportable ; l’élément médical militaire d’intervention rapide (EMMIR) et la bio-force militaire. On peut ajouter la Cellule d’Identification des Victimes de Catastrophes (CIVIC). Le ministre avait auparavant déclaré de façon lyrique :  » J’aime cette image du soldat auxiliaire de la médecine, qui connaît la force des armes mais qui, en même temps, et dans la même action, soigne, nourrit, construit, bref sait également être une force de paix « .  » Pourquoi ne pas créer une force européenne d’intervention humanitaire, pas nécessairement militaire, d’ailleurs, et l’implanter ici, à Lyon-Bron, au cœur de l’Europe ? « 
La Bioforce militaire interviendra une vingtaine de fois en 25 ans pour des vaccinations de masse (MCS, choléra, rougeole), maîtrise d’épidémies de paludisme, surveillance épidémiologique (dans les camps réfugiés par exemple). Après 2000 le contexte change, le format du SSA change. Il intervient de façon plus interministérielle et internationale comme par exemple lors de l’épidémie meurtrière à virus Ébola en 2014. (C’est dans le laboratoire P4 à Lyon que la souche du virus à l’origine de l’épidémie a été identifiée en mars 2014).
La bioforce civile dans laquelle la Fondation Mérieux est encore aujourd’hui partie prenante, continue à former environ 1500 étudiants par an aux nombreux métiers de l’humanitaire. En 35 ans elle a changé plusieurs fois de nom (association, institut), de direction et de locaux.
Il a toujours existé des relations entre le SSA, les armées et cette école. Le médecin général Lapeyssonie sera de son vivant le parrain de la promotion 1983.

POUR RÉSUMER ET CONCLURE
BIOFORCE est née dix ans après une meurtrière épidémie de méningite cérébrospinale au Brésil jugulée par une vaccination de masse. Il est tentant d’interroger l’histoire pour savoir si toutes les leçons en ont été tirées et si certaines auraient servi à combattre la COVID-19. Il convient cependant de rester prudent car le « monde », les sociétés humaines, les organisations, les industries…ont bien changé.
Nous avons d’abord une bactérie, le méningocoque A qui devient résistant aux antibiotiques et va supplanter le méningocoque C en Amérique, particulièrement au Brésil en 1973/74. Aujourd’hui nous avons une pandémie virale à COVID-19 avec des mutants plus contagieux, plus agressifs que le virus originel dont ils prennent la place. Le monde entier est touché mais le Brésil, encore une fois particulièrement. On observe cette capacité d’adaptation des germes, bactéries comme virus. Dans les deux cas une vaccination de masse semble l’espoir ultime.
Oui, à l’époque, l’Institut Mérieux a rapidement mis au point et produit un vaccin contre la MCSa. Mais n’oublions pas qu’il a tâtonné plusieurs années avant d’opter pour un vaccin innovant à polysaccharidescapsulaires en place du vaccin à germe entier. C’était alors le seul institut au monde à pouvoir proposer ce vaccin.
Aujourd’hui nous avons plusieurs vaccins disponibles contre le Covid-19. Ils ont été développés en moins d’un an. Les plus efficaces résultent encore d’une innovation savoir l’utilisation d’un ARN messager de synthèse. L’utilisation de l’ARNm est vraiment une rupture technologique et peu sont ceux qui y ont cru. Elle vaudra peut-être un prix Nobel à Katalin KARIKO.
Disposer d’un vaccin c’est bien, encore faut-il pouvoir le produire rapidement en quantité suffisante.
En 1974, l’Institut Mérieux avait réussi à multiplier sa production journalière du vaccin antiméningococcique par cent. Ceci au prix d’un effort exceptionnel de ses personnels et en réorientant ses chaînes sur ce seul vaccin, quitte à acheter les vaccins amenés à manquer auprès des concurrents. Dans le même temps une nouvelle usine, seule solution pérenne sortait de terre. Aujourd’hui, encore une fois, nous constatons un souci de production des vaccins. Elle est rendue peut-être plus difficile du fait de leur complexité et de la technicité demandée. Cependant l’on voit la bonne volonté de certains laboratoires pour produire ou aider à produire un vaccin. C’est aussi leur intérêt lorsque des chaînes sont peu sollicitées. Sanofi va produire des vaccins Pfizer BioNtech et Johnson and Johnson, en attendant de produire son propre vaccin pas encore homologué. Force est de constater que l’on n’a pas d’industrie de production adéquate pour répondre à un besoin urgent massif.
Le point faible de la campagne de vaccination de masse au Brésil en 1974 a été la logistique. État fédéral, avec de grande disparité de densité de population, chaque région a été responsable de la logistique locale. Son efficacité a été jugée inégale. Cependant l’objectif de vacciner 80% de la population soit 80 à 90 millions de personnes a été atteint en six mois. Pour la pandémie actuelle Covid-19, il est peut-être un peu tôt pour tirer des enseignements tant que l’on ne dispose pas de suffisamment de doses. La discussion porte plutôt sur la stratégie vaccinale : qui vacciner en priorité et avec quel vaccin.
Un point soulevé en 1974 est important : pour juguler une épidémie il vaut mieux compter sur un ensemble de moyens car la seule vaccination peut être insuffisante car pas assez rapide ou inadaptée à certaines catégories de personnes (voir la proposition de recours à la sérothérapie). C’est toujours vrai aujourd’hui et peut être encore davantage. En effet après-guerre la société était pro-progrès et pro-vaccination, ce qui n’est plus le cas.
Enfin je terminerai par l’interview du 14 janvier dernier d’Alain Mérieux « vieux sage aux fulgurances » selon les journalistes du média Lyon décideurs.
« Humilité, ambition, goût du risque et innovation, ardente nécessité du partage » sont les cinq leçons à retenir.
Pour en savoir davantage :
–        Histoire du développement, de la production, et de l’utilisation du vaccin contre la méningite A (1963-1975) Baptiste Baylac-Paouly Thèse soutenue le 22/11/2018 LYON IHAL Id: tel: 02003244https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02003244
–        Interview Claude Lardy ancienne secrétaire générale de la fondation Mérieux et présidente d’honneur de Bioforce. https://www.youtube.com/watch?v=zPPGLzWYNHE
–        Interview Alain Mérieux président de la fondation Mérieux https://www.youtube.com/watch?
–        La BIOFORCE Militaire, exemple de moyen humanitaire gouvernemental J.P. BOUTIN Med-Trop2002; 62:386-390